© Kaiji

11h. Le soleil tapait fort à Londres, pour une fois. Et pour une fois, Aber ne se tenait pas sur scène à brancher et porter des trucs. Il était épuisé à vrai dire, alors il est parti se détendre en faisant le tour du village du LMF tour. C'est très impressionnant de voir un festival vide. Enfin il n'était pas si vide que ça, mais pas très plein non plus, normal vu l'heure. Les portes devaient peut-être tout juste ouvrir. Donc quelques minettes couraient du plus vite qu'elles pouvaient pour obtenir la barrière tandis que des bon rockeurs pépères s'installaient sur le gazon avec leur bière à 8£. Ces derniers avaient bien raison, le  temps était radieux. Aber comptait bien faire de nouvelles rencontres, et cette fois-ci, des bonnes seulement. Ce qu'il observait surtout, c'était les roadies qui s'empressaient de terminer leur job malgré leur hangover de la veille. Il avait de la peine pour eux, tellement qu'il en vint à culpabiliser. Sa pause prenait fin dans 20 minutes, et il voyait ses collègues souffrir de migraines plombantes. Bon, au moins de cette manière il allait faire de nouvelles connaissances.

Il se trouve que le stand vers lequel Aber se dirigea était tenu par un couple qu'il avait rencontré la veille, à la soirée d'inauguration qui s'était terminé en petit dej d'inauguration. Ils l'accueillirent tout sourire, malgré le mal de crâne et les lunettes de soleil. Faut dire qu'ils étaient assez pitoyable la veille, mais marrants quand même. Tous deux prenaient soin du merch d'un groupe peu connu qui comptait bien se faire un nom pendant le festival. Et évidemment, en bonne poire qu'il est, Aber les aida à finir de vider les cartons. Leur deadline était dépassée alors bon, il n'allait pas les laisser sans aide!
Pendant qu'il vidait les cartons pour les mettre sur la table du stand, il pensait à des trucs sans importance comme par exemple est-ce qu'il avait bien pris son portable avec lui? Il pensait aussi à la probabilité de tomber sur une personne qu'il connait. Et elle n'était pas si mince que ça: Aber était originaire d'Angleterre, il était donc en terre natale, lieux qu'il avait fui comme la peste pour chérir une nouvelle vie. Pour dire vrai, il avait un peu peur. Il ne voulait surtout pas tomber sur l'une de ses mauvaises connaissances, le genre qu'il côtoyait pendant son adolescence, le genre qui tabasse des gens pour aucune raison valable.
Alors qu'il repensait à tout ça, il avait une drôle de sensation. Comme si, on l'observait, mais... bizarrement.

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Il devait être avant midi lorsque Tatiana se rendit sur le terrain du festival. Le premier jour, son horaire était assez libre. Elle s'était levée vers 9h du matin afin de prendre son petit déjeuner posément et de s'habituer à son nouvel environnement. Le soleil était déjà là, sans un nuage. Plutôt rare dans ce pays. L'Angleterre était connue, comme la Belgique, pour son climat dégueulasse, entre autres. La pluie faisait davantage partie du quotidien des anglais que le thé ! Elle s'était vêtue d'un short en jeans et d'un top léger ainsi que des petites baskets confortables. Ce genre de tenue était rare pour Tatiana mais elle avait envie de passer inaperçu en ce premier jour, sans prise de tête, sans s'encombrer à rester jolie et si particulière. De grosses lunettes de soleil sur le nez et un chignon, c'était suffisant pour ce qu'elle avait à faire.

Son travail du jour consistait principalement à se familiariser avec les lieux, repérer les endroits qu'elle côtoierait le plus comme les scènes et les coulisses, par exemple. Elle profiterait également de la petite foule pour prendre quelques clichés des marchands, des stands, des premières files d'attente. Dans quelques jours, elle pourrait à peine se faufiler sur le terrain avec son matériel photo.  Elle trouva les chapiteaux relativement bien disposés, LMF était THE festival, totalement inédit, elle s'était, dans un premier temps, imaginé quelque chose de plus petit, de plus simple, un truc qui s'étofferait avec le temps comme la plupart des festivals. Mais les moyens étaient là et rien n'avait été laissé au hasard. En gros, cet événement s'apprêtait à être la folie.

En chemin, elle rencontra quelques personnes qui se prirent au jeu des photos en posant, en grimaçant. Tout le monde avait l'air très sympa, c'était bon signe mais Tat' se dit que ce n'était que le premier jour et que tout le monde était excité donc la bonne ambiance était de mise, dans quelques mois, voire quelques semaines, la fatigue et le stress s'emparerait de la plupart des gens et les risques que ça se gâte étaient nombreux. Malgré sa réticence à rencontrer des hommes depuis un certain nombre d'années, elle ne put s'empêcher de remarquer quelques belles gueules. Entre les têtes d'affiche ultra sexy (normal) et de total inconnus au métier plus ingrat qui méritaient leur place dans les magazines, la chaleur monta d'un cran. Elle ne comptait absolument pas rencontrer l'amour ici, elle était là avant tout pour travailler mais qui dit qu'on ne peut pas regarder la carte quand on a déjà le plat ? En l'occurrence, Tat' n'avait aucun plat mais le menu était étoffé. Certains rockeurs ne lui manquèrent pas de lui rappeler Aber, qu'elle s'empressa de chasser de son esprit. C'était pas le moment de se prendre la tête avec cette histoire, vieille de deux ans au moins, qui n'avait abouti à rien. Elle ne savait même ce qu'il devenait, il avait probablement oublié le son de sa voix et elle préférait ne plus ressasser cette histoire. Un peu hypocritement, elle préférait le chasser de sa tête, faire taire les gens qui mentionnaient son nom, affichant une certaine colère plutôt que d'admettre qu'elle l'aimait encore comme si rien n'était terminé entre eux.

En ruminant tout ça, elle s'était arrêtée devant un stand de merch'. Les tenanciers étaient en train de placer tous les articles. Un homme et une femme qui semblaient être un couple et qu'elle prit plaisir à photographier, les deux étaient très complices. Derrière eux, un homme occupé à déballer des caisses. Elle ne pouvait rien voir d'autre que ses fesses et... Quelles fesses ! De dos, il avait une silhouette qui correspondait au physique que Tat' aimait, le genre de mecs avec qui elle sortait. Bizarrement, ce dernier lui sembla plus familier qu'un autre. Et tandis que ce garçon se levait, lui faisant ensuite face, le coeur de la jeune femme cessa de battre. Une seconde au moins. Autant dire une éternité. Elle n'en croyait pas ses yeux. Il se tenait là, devant elle. Le corps tatoué, encore plus qu'avant. Ses cheveux longs raccourcis et son regard toujours aussi perçant.

Ces yeux, elle les avait bien connus et plus d'une fois contemplés. Elle les avait aimé, adoré, elle y avait trouvé refuge et réconfort, elle y avait lu la peur et la tristesse, la joie et l'amour aussi. Ces yeux lui avaient fait ressentir une multitude de choses que jamais, jamais elle n'aurait même osé imaginé. Ces yeux étaient ceux d'Aber. CE Aber. Lui et lui seul.

Une boule se forma d'abord dans sa poitrine puis dans sa gorge. Elle ignorait si elle allait pleurer ou crier. Elle n'en revenait tout simplement pas. Sa main quitta son appareil photo qui rebondit lentement sur son ventre, une chance que la lanière tenait à sa nuque. Son visage exprimait très certainement sa surprise, ses lunettes de soleil étaient sur le sommet de son crâne, elles ne cachaient même pas ses yeux pour dire de la sauver. Ils s'étaient vus, tout à partir d'aujourd'hui serait différent. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Tat' l'ignorait encore.

- A... Aber... Qu'est-ce que tu fais là ? Se contenta-t-elle de dire, plus dans un murmure qu'autre chose.

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Sentant la présence étrange d'un regard posé sur son postérieur, Aber se redressa comme si de rien était, en en profitant pour remonter un coup son pantalon. C'est bien flatteur mais tellement bizarre à la fois que le jeune homme préférait assurer ses arrières. On ne sait jamais avec les festivaliers. Il y en a bien souvent des un peu trop originaux.
Toutefois curieux, il décida de se retourner pour être sûr qu'il n'était pas juste pris d'une crise de parano. Ça lui arrive de plus en plus souvent depuis qu'il a atterri en Grande Bretagne. Normal quand on sait qu'ici se trouvaient peut-être des personnes qui voulaient sa peau. Espérons que le voyeur ne soit pas une de ses vieilles connaissances. Non, ce qui se trouvait dans son dos était une bien plus mauvaise surprise.    
                             
BAM. L'ex-femme de sa vie.

Aber n'était pas si ravi de voir Tatiana en face de lui, tout simplement parce qu'il ne savait pas quoi dire, forcément. Il aurait aimé pouvoir partir loin, très loin, non pas pour la fuir mais pour réfléchir à son discours avant un face à face fatalement imminent.
Mais d'un autre côté, ce n'était pas si désagréable que ça. D'un coup, tout son corps se rappela des tonnes de choses qu'il avait presque enterré. Des choses fantastiques qui explosaient avec douceur dans son coeur, qui le faisait battre plus fort. Une sensation qui le rendait brave comme un lion et aussi timide qu'un gamin à la fois. Aber se sentait comme sur le bord d'une falaise immense, pris de vertige, mais vivant.
Le temps s'était arrêté pendant un bout de temps pour lui, et certainement pour elle aussi. Aber perdit ses moyens comme s'il venait de se faire renverser par une voiture. Tout ce qu'il vit au premier abords était la silhouette fine et féminine surmontée de cette longue tignasse rose qu'il était persuadé d'avoir vu la veille. Un appareil photo dans les mains, des lunettes de soleil énormes et le nombre de bagues indiquait à Aber qu'il était déjà sur la voie. Quand il vit l'expression digne d'un Munch que la fille affichait, il n'avait plus aucun doute: c'était bien elle.

Un gros silence gênant s'installa. Forcément, ils n'allaient pas se jeter dans les bras, d'autant plus qu'il fallait le temps à Aber de tout connecter. Il avait comme perdu l'usage de la parole pour un temps. Avant tout et dans l'empressement du stress, il contemplait ce que la jeune femme était devenue. Elle n'avait pas beaucoup changé physiquement, enfin elle avait l'air un peu plus en chair qu'avant. Toujours la même couleur de cheveux et le même soin aux détails vestimentaires. Elle n'avait pas perdu cette habitude de battre ses cils 300 fois par seconde en regardant les gens. D'ailleurs, elle le fixait avec une telle intensité qu'il en oublia comment respirer, repensant à tant de souvenirs qu'il avait tout fait pour cacher.  
Pour l'instant il ne savait pas comment réagir. Au fond de lui, quelque chose de beau et brillant gigotait. Aber devait ressentir une lueur d'espoir, quelque part. Mais pourquoi, ça, il l'ignorait pour le moment, même si ce n'était pas si difficile à comprendre. Il aurait pu se retourner et reprendre ses activités. Ou la prendre dans ses bras et pleurer comme une fillette. A la place, il ne bougeait pas. Statique, il attendait que quelque chose survienne avant d'agir.

- A... Aber... Qu'est-ce que tu fais là ?

Trop rapide. Aber fut extirpé de ses rêves sans même avoir eu le temps de réfléchir à ce qu'il pouvait lui dire. Le grain si léger de la voix de Tatiana caressait doucement l'atmosphère qui les enveloppaient. Pendant ce temps, il restait béat, presque débile, comme à son habitude.

-Je... Je vide des cartons.

Bien joué mon pote. Il secoua vivement la tête, ouvrit les yeux en grand et sortit finalement quelque chose de sensé.

- Salut Tatiana euh... il se gratta la tête. Je bosse ici comme tu vois. Enfin non, reprit-il, pas ici dans ce stand hein mais plus loin genre euh... hum. Et toi? Tu deviens quoi?

Se sentir mal? C'est peu dire. Comme avant, il faisait toujours figure de mec paumé devant elle. Elle l'intimidait vraiment. Mais il était si content de la revoir.

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Tatiana ignorait comment prendre la chose, comment se comporter. Est-ce qu'elle devait se montrer gentille ? Heureuse ? Neutre ? Un tas d'envies se mélangeaient en elle mais sa fierté prenait le dessus, comme toujours. Elle savait qu'elle n'avait pas tourné la page mais elle savait aussi que quelque chose en elle s'accrochait désespérément à Aber. Son « moi » intérieur s'était délibérément enchaîné aux souvenirs qu'elle avait de lui, des moments passés ensemble. Et bien qu'elle ne sache plus où elle en était au moment où je vous parle, elle avait bien senti naître un espoir. Un espoir qu'elle n'avait plus eu depuis des années. L'espoir de se retrouver, de se sentir vivre à nouveau, l'espoir de compter pour quelque chose, pour quelqu'un. Parce que même si sa relation avec Aber s'était montrée plus compliquée que prévu, elle avait toujours su qu'elle comptait beaucoup pour lui. Elle n'avait jamais douté de son amour ni de sa fidélité et c'était important pour elle. Après l'enfer de Kurtis, où elle en avait vu de toutes les couleurs, avait entendu tous les mensonges possibles et soupçonné toutes les tromperies existantes, Aber avait pu lui rendre confiance en elle et en les hommes.

Elle ignorait pourquoi elle avait nourri cette sorte de haine envers Aber. Au final, c'était elle qui avait rompu. Oui, elle pouvait lui en vouloir d'avoir été un peu bête et maladroit mais pas à ce point.  Si quelqu'un devait en vouloir à l'autre, c'était bien lui. Elle lui en voulait d'avoir continué sa vie sans rien dire, de ne même pas avoir essayé de la récupérer, d'avoir essayé des efforts. Elle lui en voulait d'être lui, aussi formidable avec peu de choses, elle lui en voulait d'être tombée pour lui. Jusqu'au jour d'aujourd'hui, cette rancune ne posait pas véritablement problème puisqu'ils ne se voyaient jamais. A présent, si Tat' avait bien saisi, ils travailleraient ensemble, dans le même endroit. Il y avait des chances gigantesques pour qu'ils se croisent tous les jours. Elle ne pourrait plus être en colère comme ça tous les jours au risque de se pourrir la santé inutilement. Il allait falloir faire des concessions, prendre sur soi et peut-être même affronter ses démons. Un jour ou l'autre une vraie discussion s'imposerait entre eux mais pour le moment, Tatiana n'avait ni le courage ni la tête à ça. Elle fuirait ce moment le plus longtemps possible.

- Je... Je travaille ici aussi. Bredouilla-t-elle.

Cela ne répondait pas tout à fait à « Tu deviens quoi ? » mais la réponse aurait été trop révélatrice de son mal être et ça, plutôt que crever que de lui montrer une nouvelle fois sa faiblesse. Et puis il l'avait, sa réponse. Elle devenait photographe. Elle devenait son métier. Elle devenait une fille qui se cachait totalement derrière ça pour ne pas penser à lui ou à l'amour dont elle avait toujours eu besoin dans sa vie. Elle devenait une fille terne en dedans, contrairement à ce que pouvait révéler son look.

Elle se tut un moment, ne sachant quoi dire. Elle avait envie de s'approcher, l'embrasser, le serrer contre elle, lui dire qu'elle était heureuse de le revoir (en vie) et qu'il était toujours, si pas plus, beau qu'avant. Et surtout, combien il lui avait manqué jusque là. Bien qu'il se tienne devant elle, il lui manquait encore. Plus même ! Il était là et elle ne pouvait même pas le toucher ! Elle se rapprocha néanmoins du stand, faisant mine de regarder les articles.

- Ils sont bien tes cheveux comme ça aussi. Dit-elle, sur un coup de tête.

Quoi ? Non mais.... Tant de maladresse ne ressemblait pas du tout à Tat'. Mais elle ne savait plus où se mettre, quoi faire. Devait-elle partir ? Sans rien dire ? Faire la fille qui s'en fout et qui a tourné la page ? Non impossible. Elle ne pourrait jamais être son amie. Et c'était déjà la raison pour laquelle ils ne s'étaient plus vus. Elle voulait lui signifier par là qu'il était changé mais qu'il lui plaisait encore, qu'il lui plairait sûrement toujours, quoi qu'il fasse de sa tête et de son corps. Alors qu'elle s'apprêtait à s'en aller, un ami de Tat' passa à proximité, venant saluer la jeune femme.

- Hey Salut Tat' ! Dit-il naturellement en lui donnant une tape amicale.

Ce garçon était un ami sans l'être, à vrai dire il était plus une connaissance. Elle avait partagé sa classe de chant avec lui à l'époque où Aber et elle fréquentaient la même école. Elle lui répondit le plus naturellement possible, tentant de cacher son malaise. Mais Josh connaissait aussi Aber. Enfin, il en avait entendu parler à l'école, il l'avait connu en tant que « le grand tatoué » et « le mec de Tatiana ». Il avait su combien la rupture avait été retentissante et discrètement, il lança un regard interrogateur à Tat'. Elle lui répondit d'un signe de tête qui voulait dire « on en parle plus tard ».

Sans l'intervention de Josh, Tat' aurait tourné les talons et couru jusqu'à sa loge reprendre ses esprits. A la place, elle saisit son courage à deux mains.

- Bon, ben il semblerait que nous allons être amenés à nous revoir souvent, peut-être même à nous côtoyer. Ajouta-t-elle franchement. Un sous-entendu lourd de sens.

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En face d'Aber se trouvait une jeune fille bouleversée qui cachait son mal-être avec beaucoup de difficultés. Tatiana n'avait pas l'air très heureuse de se retrouver en face de lui. Aber reconnaissait cette expression propre à elle, lorsqu'elle esquive le regard et se tord les doigts. Surtout ses doigts. Ses mots étaient si posés qu'on aurait dit une sorte de discours. Pendant ce temps, il la regardait faire, se rendant compte à quel point sa présence n'était pas si désirée que ça. Mais après tout, c'est elle qui est venue le voir non? Enfin si on peut dire...
Évidemment il était bien trop stupide pour comprendre ce qu'il se passait dans la tête de Tat'. Il en avait une vague idée, mais il n'aimait pas la tournure « scénar de films » que ça avait. Alors, il l'écoutait comme il écoutait une amie très chère. A vrai dire, ils se connaissaient si bien que ses mimiques se comprenaient d'elles-même.
Tat' travaillait ici tout comme lui. Lorsqu'il saisit l'information, son coeur se serra et lesourire lui vint aux lèvres immédiatement. Il n'avait pas immédiatement pensé que des petites rencontres comme aujourd'hui se feraient quasiment tous les jours, qu'ils pouvaient passer leurs journées ensembles ou même bosser sur les mêmes projets, d'une certaine manière, comme avant.
Il coupera ses cheveux à l'identique dorénavant. Si elle aime, c'est tout ce qui compte, maintenant. Forcément, l'espoir, tout ça...

Arriva un mec qui n'avait rien à voir dans l'histoire, qui se planta devant le duo et se mit à causer à sa Tagada. Aber commençait à en avoir marre des mecs malpolis ici. Il avait déjà fait le plein dans son adolescence et ça lui suffisait. Depuis qu'il est sur la tournée, il a vu des types presque pires en matière de respect. Bon, cet inconnu était un petit joueur dans l'histoire, mais à force de travailler avec des salauds à longueur de journée, Aber pouvait s'offusquer un peu trop facilement. Heureusement que c'était devenu un « gentil garçon », sinon ça aurait fait une paye qu'il aurait sauté dans le moshpit ou organisé une baston géante.
En fait, il connaissait de visage la petite incruste, Josh. C'était un mec qui n'arrêtait pas de le dévisageait bizarrement dès qu'ils se croisaient depuis sa rupture avec Tatiana. Comme si c'était un monstre. Ben vas-y joue le héros mec, mais pendant ce temps c'est bien lui qu'elle est venue voir, et d'ailleurs, elle t'as jarté très vite.
Aber se remémora ses fautes, son comportement et ses erreurs envers Tat'. Pendant les quelques années qui séparaient leur relation de maintenant, il avait eu le temps de regretter et de se détester. Presque à s'en mordre les doigts jusqu'au sang. Il avait peur de faire du mal aux gens qu'il approchait et se demandait si il avait pas des airs de sociopathe des fois. Il semait la tristesse auprès des gens qu'il aimait. Donc oui, d'accord, il était bien plus irrespectueux que le pelo d'en face, qui partait en le regardant avec des yeux noirs.

Il commençait à s'avancer près de Tatiana pendant qu'elle lui expliquait qu'ils bosseraient sur le même site pour un moment. Alors qu'elle le fixait droit dans les yeux pour attendre une réaction de sa part, il s'approchait d'elle et observait son appareil photo tout neuf. Belle bestiole. Tu m'étonnes qu'elle soit devenue pro, quand on ajoute à ça son talent. Il prit l'appareil dans ses mains, tout près d'elle, et lui demanda:

- « J'espère que tu n'as pas encore pris de photo, j'aimerais bien être sur la première. »

Il ajouta un léger sourire en coin, espérant que ça puisse embrayer la conversation sur quelque chose de plus amical, signe de drapeau blanc. Il espérait que ça puisse la décoincer un peu. Un instant, ses yeux attrapèrent les siens et quelque chose se passa. Au lieu de perdre ses moyens ou de prendre la fuite, il soutint son sourire et le lien qui ne tenait presque à rien. En lâchant l'appareil, leurs mains se frôlèrent doucement. Ce n'était presque rien, mais pour eux deux, en tout cas pour Aber, c'était comme si Poutine et Obama venaient de se rouler une pelle sous une pluie de fleurs.

Au loin, les premières guitares résonnaient par leur accordement. Aber prit conscience que la fin de sa pause allait bientôt se terminer. Il mit fin à ce moment se sérénité pour vérifier l'heure sur son téléphone, en oubliant sa proximité avec la belle aux cheveux roses. Et oui, il était bien l'heure. Il devait quitter le stand pour aller travailler, sinon il allait se faire botter les fesses par les petits salauds qui l'exploitent.
Il toussa et annonça la situation à Tatiana avec un air gêné. Ils devaient se quitter pour maintenant, puisque le devoir l'appelait. Puis, une idée lui vint.
Il se retourna, et vit que ses deux amis étaient très occupés depuis que les festivaliers étaient arrivés. Aber profita de la situation pour lancer d'un ton très naturel:

- « -Mince! Eh les gars, cria-t-il dans leur direction, une nana a oublié son t-shirt après avoir payé... 

Après un court détour de regard vers Tat', il conclut que la bonne taille était toujours du XS.

- Je cours lui rendre avant de la perdre, ok? »

Les deux vendeurs ne lui répondirent que par un vague « Unhun » puisqu'ils étaient trop occupés pour l'écouter. Ainsi, Aber partit en direction de son job, avec dans la main un t-shirt blanc certainement trop petit pour lui.
En passant devant Tatiana, il lui demanda doucement si elle acceptait son cadeau et/ou de l'accompagner jusqu'à la scène principale. Son regard se faisait suppliant, cependant il se retenait de rire devant l'expression qu'elle avait. Il espérait qu'elle dirait oui.





( Tatiana et son nouveau T-shirt )

© Kaiji
En voyant s'approcher Aber, Tat' sentit son coeur se serrer. Elle ne s'était plus trouvée si proche de lui depuis si longtemps... Elle ne voulait pas qu'il recule. Non, si elle avait écouté son coeur, elle l'aurait serré contre elle sans plus jamais le lâcher. Un peu comme avant. Mais aujourd'hui la situation était différente et elle devait un peu préserver sa fierté. Il lui semblait bien entreprenant comparé à avant, elle aimait ça, c'était même ce qu'elle avait toujours espéré et attendu. Elle avait perdu tout espoir à une époque de leur relation, le jour où elle l'avait quitté. Après ça, elle ne s'était pas fait de films, le voir revenir comme une fleur avec toute l'assurance du monde était un peu impossible. Et puis elle s'était résolue au fait qu'on ne change pas quelqu'un qu'on aime.

Alors qu'il tripotait son appareil, elle le surprit à sourire et à soutenir son regard. Il l'étonnait décidément de plus en plus. Elle l'avait toujours connu le regard fuyant, la tête baissée et le dos courbé. A l'exception d'un moment. Un moment récurrent : celui où il se positionnait derrière sa batterie entamant des rythmes puissants et effrénés. A ces moments, il était un autre homme, un homme heureux, épanoui, concentré et précis. On pouvait lire dans ses yeux qu'il savait très bien ce qu'il voulait et où il voulait aller. Elle n'avait jamais pris Aber pour un moins que rien, un soumis ou quelque chose du genre. Que du contraire, elle l'admirait secrètement, elle l'avait observé plus d'une fois dans des situations banales et elle savait très bien ce qu'il se passait dans cette tête, dans cet esprit torturé. Il se comportait étrangement avec elle, mais Aber était un vrai mec, viril et tout ça. C'était son Aber, son homme, son vrai et son unique, tous les autres à côtés étaient vraiment des fiottes. En plus, c'était un bad boy dans l'âme, un chef de gang et même si elle ne l'avait jamais vu à l'action, se bagarrer ou autre, elle ne doutait absolument pas de sa virilité.

Elle sentit ses doigts tatoués effleurer les siens et son souffle se coupa. Elle tenta de garder son sang-froid.

- J'espère que tu n'as pas encore pris de photo, j'aimerais bien être sur la première.

« T'as pris de la coke ou quoi ? » pensa-t-elle. Il avait plus parlé en 5 minutes aujourd'hui qu'en plus d'un an de relation. Cependant elle retint sa remarque.  Malheureusement elle avait déjà du se mettre au boulot dès la soirée d'ouverture et il n'aurait pas cet honneur. Non que ça lui aurait déplu à elle non plus.

- Malheureusement je suis de service depuis la première soirée. Mais je peux quand même te prendre en photo et les intégrer dans les tirages finaux.

Elle pouvait elle-même choisir quelles photos donner, après tout elle était la photographe attitrée du festival, elle connaissait son boulot et John ne semblait pas très difficile. Certes la promo et l'image comptaient mais il avait bien d'autres soucis et bien plus importants aussi.  Elle n'eut cependant pas le temps d'épiloguer et de lui expliquer ses méthodes. La pause du batteur touchait à sa fin et bien qu'elle pouvait comprendre, elle n'avait pas envie de le quitter. Il ne pourraient probablement pas passer la journée entière ensemble, ils avaient du boulot tout les deux, surtout en ce début de festival mais une séparation de plus.... Leur relation se résumait à ça : se séparer, encore et toujours. C'était le plus lassant. Elle avait aujourd'hui la chance de passer beaucoup de temps avec lui mais leurs plans étaient une fois de plus compromis. Lassée, elle hocha la tête.

-Mince! Eh les gars, une nana a oublié son t-shirt après avoir payé... Je cours lui rendre avant de la perdre, ok? 

Tat' ne comprit pas tout de suite ce qu'il se tramait. Tous comme les membres du stand elle ne soupçonna pas Aber un seul instant. Quand il se positionna devant elle en lui tendant le fameux t-shirt, elle réalisa ce qu'il venait de faire. Non seulement il ne lui avait pas souvent offert de cadeaux mais encore moins en « voler » un devant elle. Elle n'aimait pas trop cette technique mais bon sang, ce qu'il venait de lui faire plaisir ! En plus de ça, il ne lui avait même pas demandé sa taille ni lequel elle préférait. Il avait bien choisi. Un beau motif, la taille parfaite. Décidément, une mouche avait piqué Mister Sparks ces derniers mois. Et pour son plus grand bonheur, il était devenu le garçon rêvé. Encore plus beau qu'avant et à présent attentionné.

Elle saisit le tissu et le cacha rapidement sous son bras afin qu'il ne se fasse pas pincer. Elle ne put s'empêcher de sourire longtemps et elle baissa les yeux, passant une main dans ses cheveux.

- Merci bad boy. Lui dit-elle d'une voix douce.

« Bisou ou pas bisou ? » . Un baiser sur la joue, c'était tout ce qu'elle voulait. Pour le remercier quoi. Elle l'avait assez maltraité et ses défauts, il les connaissait. Ca ne servait à rien de lui dire qu'il lui devait bien ça. Elle avait adoré son geste, même s'il n'était pas vraiment honnête. Elle aurait bien aimé lui sauter au cou et lui dire mille fois merci. Même pas pour le t-shirt, mais pour le geste, pour y avoir pensé, pour lui avoir fait plaisir, pour lui avoir fait comprendre que la journée ne s'arrêterait pas tout de suite. En prenant son courage à deux mains, la jeune femme aux cheveux rose pâle se mit rapidement sur la pointe de ses basket et vola un baiser à Aber. Un baiser furtif mais suffisamment appuyé pour qu'il s'en rende compte. La chaleur de sa joue, son parfum, cette sensation de rasage sur ses fines lèvres lui retournèrent totalement l'estomac. Elle avait presque oublié ce que ça faisait. Mais il avait fallu une seule seconde pour que tous les souvenirs fassent surface, comme si tout ça n'avait été qu'un rêve, une nuit de songes et que le réveil se faisait maintenant, un peu trop brutal. De nouveau sur ses pieds, elle se sentait essoufflée. Tant d'effet pour un seul homme. Elle avait bien fait d'attendre et de croire en eux. Elle avait bien fait de suivre ses instincts. Il parait qu'on le sent, quand on rencontre l'amour de sa vie. Elle en était à présent certaine... à nouveau.

- Je ne veux pas compromettre tes plans ou ton boulot. Alors je me ferai discrète et je te prendrai en photo, sauf si tu tiens absolument à poser, enchaîna-t-elle sur le ton de l'humour.

© Kaiji
- Merci bad boy.

Aber connaissait assez bien Tatiana pour savoir que le plaisir l'emportait sur la gêne. Bien sûr, elle n'aimait pas que ses vieilles habitudes de racaille ressurgissent de nulle part, mais elle semblait bien contente de son cadeau (enfin façon de parler). Il pouvait être fier de lui. Maintenant, il était certain qu'il avait à nouveau l'attention de la belle aux cheveux roses. Il espérait que ça puisse fonctionner à nouveau entre eux, d'une certaine manière. Qu'ils redeviennent au moins amis (même si ce qu'il désirait était beaucoup plus évidemment). Cette proximité et cette complicité qu'ils avaient eu longtemps, cette compréhension de l'autre. Mais pour ça, il fallait un déclencheur, quelque chose qui la charme, comme avant. Il fallait qu'il la reconquise. Alors, il entama la poursuite du cœur de Tatiana.
Un premier résultat ne se fit pas attendre. Aber put ressentir la douceur intense des lèvres de Tatiana sur sa joue. Un beau remerciement auquel il ne s'attendait pas. Mais chaque gentleman à la droit à un peu de tendresse en retour, jeune homme. S'il était un autre homme, il aurait sans doute chaviré. Sans doute, il l'aurait prise dans ses bras et emmenée vers un château scintillant en lui murmurant des mots doux. Mais il se contenta seulement de rester figé, par la surprise certainement, mais aussi à cause de son caractère. Aber n'est pas quelqu'un de très démonstratif en matière de sentiments, tout le monde le sait. Pendant quelques secondes il ne sut comment réagir, ni même quoi penser. Heureusement ça ne prit pas beaucoup de temps, mais quand même, c'était une poignée de secondes de panique. Ca a fait une sorte de 'stounk' dans sa tête. Eh ben oui bonhomme, ce moment ne durera pas jusqu'à la fin de l'éternité alors il va falloir que tu sois réactif et sociable.
Il aurait voulu dire un simple « Oh... » d'enchantement, de ravissement. A la place, rien ne sortit. Mettons ça sur le dos du stress. Mais pour sauver la magie du moment, il réussit au moins à sourire. Ce petit sourire en coin qui démontre que le petit bout de bonheur qu'il vient de vivre était magique et en valait la peine. Pour lui, c'était fantastique. Espérons au moins qu'elle le remarque.

Tous deux revinrent sur terre (surtout Tatiana, du haut de la pointe de ses petits pieds) et se mirent à marcher en direction de la scène principale.

- Je ne veux pas compromettre tes plans ou ton boulot.

Petit coup de pression. Aber ne savait pas de quoi elle parlait. Pensait-elle que le le fait qu'ils se revoient soit une mauvaise idée, voire même dangereuse pour leurs jobs respectifs? Elle venait pourtant d'insinuer le contraire quelques minutes auparavant.

- Alors je me ferai discrète et je te prendrai en photo, sauf si tu tiens absolument à poser.

Ah mais ça! Aber se détendit et ricana. L'image de lui posant pour quoi que ce soit est assez drôle, puisqu'il est tout sauf naturel lorsqu'il essaye. Il ne suffit qu'à regarder son instagram pour s'en rendre compte. Tatiana avait déjà essayé plusieurs fois de se servir de lui comme modèle photo. A chaque fois, ça se terminait en fous rires puisqu'il ressemblait à une sorte de manche à balais tout raide qui essaye de faire l'amour à l'appareil juste avec le regard. Parfois il met une main derrière sa tête pour avoir l'air un peu plus sexy mais... ça ne servait à rien. On avait plus envie de se rouler par terre que de le prendre au sérieux. Tatiana, avec tout le respect qu'elle avait pour lui, semblait avoir du mal à résister à l'envie d'exploser de rire à chaque fois. Mais il y avait quelques exceptions à la règle: les fois où elle arrivait à le prendre discrètement en photo, dans ces moments intimes et secrets, dont eux seuls étaient les témoins. Après l'amour ou pendant un fou rire, Tatiana savait prendre des photos exceptionnelles de son amant. Elle était une photographe formidable. Même après leur rupture, il n'a cessé de croire en son talent. Il en faut, du talent, pour transformer un monstre en une oeuvre d'art.

Aber voulait lui prendre la main, parce que la présence de son ex-petite amie lui rappelait toute cette fantastique période. Cependant, il pouvait tout à fait se prendre une mandale en deux temps trois mouvement. C'est vrai, il lui a fait du mal (sans le vouloir rappelons-le) et ils s'en souviendront toujours aussi bien l'un que l'autre. Pour s'empêcher de faire une bêtise qu'il pourrait vite regretter, il croisa les bras, ce qui lui donna une allure assez drôle. On aurait dit un mec qui se la pète ou qui cherche la merde, le genre de type qu'on croise souvent dans les festivals. Pourtant, sa tête était remplie de choses toutes roses et mignonnes à cet instant.

- Je suis content que tu aies gardé tes cheveux roses, dit-il évasif. Est-ce qu'il y a encore du monde qui te donne des surnoms là dessus?

Il aimait la taquiner, ça lui donnait l'impression qu'ils étaient aussi proches qu'avant.
En même temps, ils se rapprochaient de la foule qui s'agglutinait devant les barrières de la scène principale. Beaucoup de fans fervents étaient présents et attendaient avec impatience le moment tant attendu. Mais avant ça, il aurait peut-être fallu que Aber se mette au travail.

- Est-ce que tu peux venir en backstage? J'aimerais beaucoup que tu puisse m'accompagner. Enfin ça dépend aussi de l'humeur des musiciens...

Ceux du groupe de la première partie étaient relativement aimables ou discrets dû à l'excitation. Inaugurer un festival aussi important que LMF c'est quelque chose de fantastique pour leur carrière, un vrai tournant. Mais il arrive aussi que quelques têtes d'affiches rôdent dans les couloirs, et empestent l'agressivité et la mauvaise foi. Si un seul petit détail leur déplait, ça peut tourner en catastrophe. La plupart du temps, Aber est assez discret pour ne recevoir aucune foudre de leur part.
Il voulait la garder près d'elle encore un peu de temps. Aber en demande toujours trop. Il avait déjà réussi à amener Tat' jusqu'ici, mais il en voulait encore plus. Il ne voulait pas que cette rencontre s'arrête là. Bien sûr il pouvait toujours venir la voir après les concerts ou quelques minutes pendant une pause, mais on sait tous que c'est un gamin capricieux dans le fond.

A quelques mètres de là, on entendait une fille aux cheveux verts crier vers Aber. Elle n'avait pas l'air commode et très en colère.

Aber sourit très peu. Depuis quelques années c'est quelqu'un de très renfermé, et son ex-petite amie à pu en faire les frais. Mais la coïncidence de cette journée était étonnante, tant que Aber en est devenu particulièrement démonstratif et entreprenant. C'est peut-être pour cette raison qu'il prit la décision de chercher un ticket de caisse dans sa poche de jean et d'y écrire son numéro.

- Ca paye pas de mine mais... Au moins on pourra se retrouver plus facilement maintenant.

Il lui tendit le bout de papier avec un sourire, un sourire rare, sincère, et heureux.

© Kaiji

- Je suis content que tu aies gardé tes cheveux roses, est-ce qu'il y a encore du monde qui te donne des surnoms là dessus ?

Tatiana ne put s'empêcher d'émettre un petit rire. Toutes les années passées à l'école avec Aber et leurs amis lui revinrent en tête. Ils étaient le couple le plus original de tout l'établissement et ils avaient, à eux deux, collectionné pas mal de surnoms. Il était vrai que Tatiana en avait quelques uns à son actif : fraise, tagada, cupcake... Elle avait expérimenté à peu près toutes les couleurs de cheveux possibles et avait même parfois dépassé les limites du raisonnable mais Aber ne l'avait jamais critiqué à ce propos. Il venait bien de lui faire un compliment là, non ? Elle en fut surprise mais son petit coeur se mit à battre très fort quand elle réalisa qu'il aimait qu'ils soient encore roses. En d'autres mots, elle lui plaisait toujours. C'était peut-être mettre la charrue avant les boeufs mais avec un look comme celui de la jeune femme, on pouvait vite se sentir repoussé.

- C'est beaucoup plus rare, je crois que les gens n'osent plus m'en donner. Tu te souviens de ceux qu'Hayden me trouvait ? Elle en dénichait toujours des farfelus !

Hayden avait été sa plus fidèle amie à l'école. Il y avait un lien un peu plus compliqué que cela entre elles mais elle s'était toujours montrée attentive et dévouée en dépit de son attirance pour Tat'. Il arrivait souvent à la photographe de regretter ce temps, où tout allait simplement, où les tracas du boulot et le stress de survivre étaient peu présents. Tat' avait voué son adolescence à ses amis et en grande partie à Aber aussi. Ces moments restaient gravés en elle.

Ce qu'elle aimait le plus chez Aber était difficile à dire. En tout cas, elle savait qu'elle adorait rigoler avec lui. Aussi discret soit-il par moments, il pouvait s'avérer être un vrai clown et faire rire son ex petite copine pendant des heures. Elle ne comptait plus les soirées où chaque phrase comportait soit un bêtise, soit un air ou une grimace destinée à la faire exploser de rire. Les crampes au ventre qu'elle avait eu en sa présence, elle ne les avait eu avec personnes d'autre. C'est vrai, Aber ne fait pas toujours exprès d'être drôle mais c'était ça aussi qu'elle aimait particulièrement chez ce garçon. Avec le recul, elle avait compris qu'il n'avait pas agit dans le but de la heurter et surtout pas de la voir pleurer. Elle l'avait toujours su mais c'était trop douloureux à supporter à ce moment là. Elle était trop jeune et elle lui donnait trop. Il aurait de toute façon fini par étouffer, elle en était persuadée. Se voir aussi complice avec lui aujourd'hui renforçait ses idéaux et ses convictions en matière de destin et toutes ces choses mystiques en lesquelles elle croyait. Pour Tat', nous avions forcément une âme-soeur quelque part. Nous ne finissions pas forcément avec elle à la fin de notre vie, beaucoup de choses pouvaient compromettre les plans mais elle savait que tôt ou tard, l'amour vaincrait. Et elle en était convaincue, Aber était son âme-soeur, la personne qui lui était destinée, celui qui avait été façonné pour elle en tout point. Ils s'entendaient parfaitement, en dépit du fait que la miss était un poil trop exigeante et que son caractère foutait souvent tout en l'air. Il correspondait parfaitement à l'image de l'homme idéal, de l'homme qu'elle voulait et ce, bien avant de le rencontrer. Et en plus, il avait la beauté... Un sourire auquel elle ne pouvait JAMAIS résister. Il avait du talent, il était un musicien formidable, il avait la tête sur les épaules et il était courageux. Elle savait que son bonheur ne se trouvait nulle part ailleurs qu'auprès de lui. Pensait-il la même chose ? Se voyait-il finir vieux avec elle ?

- Est-ce que tu peux venir en backstage? J'aimerais beaucoup que tu puisse m'accompagner. Enfin ça dépend aussi de l'humeur des musiciens...

Il la fit sortir de ses songes et elle hocha la tête. Elle était en mesure d'entrer en backstage, elle était même obligée pour tirer de meilleures prises de vue et pour tout avouer, elle n'en n'avait rien à cirer de l'avis des musiciens ou des techniciens. Elle aussi devait faire son boulot et elle était prioritaire car sans photos, pas de promo !

- Oui oui, j'ai mon pass, t'en fais pas. Et j'en ai rien à cirer des musiciens, je dois faire mon boulot, je les laisse faire le leur alors tu sais.

Elle haussa les épaules avant de remarquer qu'Aber venait de croiser les bras. Il ne faisait jamais ça. Généralement, cela signifie que la personne se ferme et n'est pas apte à la discussion mais pourtant, son comportement démontrait le contraire. Elle lui lança un regard suspicieux mais ne fit aucune remarque. Elle se dit simplement qu'il ne serait décidément jamais à l'aise dans son corps, se rappelant au passage ses nombreuses tentatives pour le prendre en photo avec une mise en scène, aussi mince soit elle. Elle savait ce qui aurait pu le décoincer, au moins un peu. Elle connaissait toutes les techniques plus ou moins rentables pour qu'il se laisse aller et se détende mais elle n'était plus en mesure de le faire. Pourtant, elle aurait aimé. Oh ça oui, et bien plus que jamais d'ailleurs. Se blottir contre son torse fort, le sentir contre elle, respirer son odeur naturelle et le serrer, le serrer... Passer ses fines mains le long de ses joues rêches, croiser son regard meurtri et lui adresser un sourire sincère et amoureux, qui se voulait rassurant, qui lui avait toujours dit "Je ne t'abandonnerai jamais"... Glisser ses longs doigts dans cette chevelure rebelle et si douce à a fois, se hisser sur ses pieds et, du haut de sa petite taille, déposer un baiser sucré sur ses lèvres qui lui avaient foutrement manqué. Manqué à en crever, à en pleurer toutes les nuits des années durant. Retrouver cette flamme intérieure qui s'était éteinte le jour où ils avaient pris un chemin différent. Retrouver cette sensation de vivre enfin pour une bonne raison, vivre pour lui, vivre avec un but. Pouvoir se réjouir de voir que l'heure de son arrivée approche, stresser à l'idée de le rejoindre, sentir son estomac se soulever en l’apercevant au loin et toujours être timide devant lui, les quelques premières minutes. Pouvoir se laisser aller la nuit contre son corps fort, se glisser dans ses bras rassurants, redessiner du doigt ses tatouages, lui apporter le petit-déjeuner, le regarder se mouvoir dans l'appartement et réaliser à quel point elle l'aime un peu plus chaque jour. Se rendre compte qu'il lui manque même quand il est là et surtout, pouvoir lui dire. Lui dire qu'elle l'aime et que plus jamais elle ne pourra vivre séparée de lui. Jamais...

- Ca paye pas de mine mais... Au moins on pourra se retrouver plus facilement maintenant.

Elle saisit le papier d'un air absent, elle retenait son souffle, à vrai dire. Quelques secondes trop pensive, quelques secondes à réaliser que, putain, c'était ce mec dont elle avait besoin et par dessus tout retenir ses larmes. Elle remarqua qu'il y avait inscrit son numéro de téléphone. Un sourire en coin déforma le visage de la belle, elle se serait cru à l'aube de leur rencontre quand, comme deux gamins, ils avaient émis l'idée de se rappeler. Elle s'aperçut qu'il souriait lui aussi quand elle releva son fin visage. Et quelques longues secondes, elle profita de cette vue qui lui était gracieusement offerte. Elle planta son regard vert dans celui d'Aber et le soutint, le soutint vraiment. Elle espérait qu'il y lise tout ce à quoi elle venait de réfléchir et qu'il comprenne. Qu'il comprenne qu'elle voulait lui laisser une nouvelle chance. A lui, à eux deux et à elle-même aussi. Elle avait du se pardonner bien des choses, quoi qu'il en pense. Elle voulait qu'il comprenne à quel point elle avait juste envie de lui à l'instant même, l'envie de le sentir une énième fois. Mais Aber n'était qu'un homme alors elle savait qu'il lui fallait plus qu'un regard pour faire passer le message. Elle devait profiter de cet élan pour mettre des mots sur ces sentiments.

- On finira toujours par se retrouver Aber. Tu es mon destin et j'espère bien être le tiens alors c'est impossible que cela se passe autrement.

Lentement, elle s'approcha de lui, le souffle court. Elle avait rarement ressenti ça. Cette... chose. Indéfinissable, comparable au jour où il lui accorda un premier baiser après leur course folle chez le disquaire. Elle se posta devant lui, le plus près possible. D'un geste tendre elle posa une main sur la joue du tatoué et sourit à nouveau, pleine de gratitude. Elle aurait aimé pouvoir lui dire qu'elle l'aimait là tout de suite, mais elle devait se préserver encore. Il était trop tôt et tout était trop chamboulé dans leur tête, c'était trop dangereux. Même si elle le trouvait changé positivement, elle avait peur et elle ne voulait pas lui imposer une nouvelle fois ces péripéties. Elle laissa retomber sa main le long de son corps, sans lâcher son regard.

- Tu m'as vraiment manqué. Maintenant va travailler sinon je ne pourrais pas avoir de photos de toi.